Ces derniers jours, je suis allée squatter le blog la lettre volée dont Edgar, l’animateur, a une verve polémiste que j’aime bien, tout en étant en désaccord avec ses opinions.
Donc, alors que je prenais mes aises là-bas, commentant avec entrain un article sur le traité de Lisbonne écrit par une énième sommité universitaire, voilà que revint sur le tapis le sujet de « la concurrence libre et non faussée ». Car, tel le furet de la chanson, il passe par ici et repasse par là.
Je reprends ici une partie de mes commentaires pour faire le point sur ce principe, ses implications et sa place dans le traité de Lisbonne. Sera-ce un point final ? Rien n’est moins sûr.
En préalable, je n’ai toujours pas compris pourquoi la concurrence faussée serait souhaitable, car il est évident qu’elle conduit à la domination de quelques entreprises. Donc, je ne vois pas en quoi le fait de contrôler les phénomènes de concentration ou de position dominante est néfaste.
Posons cependant comme hypothèse -absurde - que la concurrence non faussée soit très très nuisible. La question suivante est alors : y sommes nous inéluctablement condamnés ?
Un visiteur remarque que si la concurrence libre et non faussée n’apparaît plus comme un objectif général de l’Union européenne, il s’agit là, selon lui, d’une disparition en trompe l’œil car un protocole annexé et ayant la même valeur juridique que le traité précise que le marché intérieur "comprend un système garantissant que la concurrence n’est pas faussée". De plus, les institutions européennes ont, sous certaines conditions, la possibilité d’adopter des mesures non prévues par le traité pour atteindre les objectifs fixés par ce dernier. Et comme le marché intérieur est un objectif, qu’il repose sur la concurrence libre et non faussée, celle-ci loin d’avoir disparu reste bien d’actualité dans le traité de Lisbonne et s’imposera comme objectif sacro saint de l’Union, conduisant, comme c’est le cas aujourd’hui, à remettre en cause les services publics, y compris des services sociaux comme la santé.
Cette opinion n'est pas la mienne.
Dans le traité de Lisbonne , la concurrence non faussée (le « libre » a disparu) est ramenée à la sphère dans laquelle elle s’exerce logiquement dans une économie libérale : le marché intérieur. Si on conteste cela, on conteste l’économie libérale, c’est-à-dire la liberté d’entreprendre et de commercer dans le cadre des règles posées par les lois et les règlements. C’est une option qui conduit à remettre en cause le marché intérieur (et, au passage, également le système économique qui prévaut dans la plupart des pays dont la France). Mais alors, pourquoi ne pas le dire clairement et demander la sortie de la France de l’Union européenne pour incompatibilité idéologique au lieu de couper les cheveux en quatre et de présenter comme une vérité absolue ce qui est une interprétation des textes ?. Pourquoi, par exemple, passer sous silence les objectifs généraux de l’Union qui sont notamment : la promotion de la paix, du bien être de ses citoyens, le développement durable, la cohésion économique et sociale, etc…Pourquoi penser que forcément ils seront oubliés au profit de la seule concurrence, alors qu’ils ont un champ d’application plus large ?
A ces questions que je posais à mon interlocuteur, celui-ci a répondu notamment : « parce que c'est ce qui se passe dans les faits ».
Il n’a pas tort. Il est vrai que depuis le début des années 1990, l’Union européenne s’est engagée dans une politique de libéralisation de secteurs qui jusque là relevaient du secteur public en France. Mais était-ce imposé par les dispositions sur la concurrence non faussée?
Non.
Les traités européens et c’est aussi le cas du traité de Lisbonne n’impliquent pas automatiquement le démantèlement des services publics. La preuve : la France est membre depuis 1957 de l’Union européenne ou plus exactement de sa « grand-mère », la Communauté Economique Européenne que l’on connaissait aussi sous le nom de marché commun car la principale réalisation était un marché intérieur où la concurrence
était…non faussée. Le traité de Rome de 1957 disposait que l’action de la Communauté comportait pour l’accomplissement de ses missions «l’établissement d’un régime assurant que la concurrence n’est pas faussée dans le marché commun », (article 3-f du traité de Rome). Or, cet article n’a pas empêché que la France de fonctionner avec un secteur privé majoritaire et un secteur public important pendant des décennies. Comment ce qui a fonctionné alors ne fonctionnerait-il plus aujourd’hui alors que la règle du jeu est la même ? Comment la France a-t-elle pu vivre une période prospère, préserver et développer ses services publics alors que la concurrence non faussée était de mise ?
On le voit bien, l’argument selon lequel le traité est un texte ultralibéral car il prônerait la concurrence non faussée au détriment de toute autre finalité et signerait le démantèlement des services publics, est un argument …« bidon ».
C’est l’application des règles européennes en fonction des options politiques du moment qui a conduit à la libéralisation à partir du début des années 90 (acte unique européen négocié par M.Fabius qui ensuite s’est reconverti en leader anti-libéral, cherchez l’erreur). Les idées de marché et de libéralisme économique sont dominantes en Europe, depuis que même des partis de gauche s’y sont ralliés. Logiquement, l’application faite des traités reflète cette orientation.
Bref, il y a les textes et il y a leur application. Mais c’est une nuance qui échappe aux contempteurs les plus zélés de la concurrence non faussée. Elle est pourtant importante.
Domaguil